SYNDROME DU BÉBÉ SECOUÉ:
LES RÉPONSES JUDICIAIRES

Jean-Michel FAURE , juriste et criminologue, est magistrat honoraire. Il a exercé dans la région des Hauts-de-France des fonctions de juge pénaliste : juge d’instruction, président de tribunal correctionnel et président de cours d’assises.

Il a notamment dirigé des enquêtes et jugé des affaires de maltraitance, de violences et d’agressions sexuelles sur mineurs. Il est le vice-président de l’association Les maux, les mots pour le dire, créée en 2015 , et dont les buts sont la prévention et la formation des professionnels ( santé, police, justice, éducation nationale ) aux problématiques en lien avec toutes les formes de maltraitance des mineurs et plus spécifiquement le syndrome du bébé secoué.

Jean-Michel FAURE Magistrat honoraire et vice-président de l’association Les maux, les mots pour le dire

 

Le syndrome du bébé secoué ( S.B.S ) est la conséquence directe de secouements violents et répétés commis par une personne qui saisit brutalement l’enfant par les bras ou le thorax pour faire cesser les pleurs du nourrisson. Ces mouvements rapides d’accélération et de décélération occasionnent de nombreuses lésions cérébrales, cervicales ou ophtalmologiques et notamment des hématomes sous-duraux et des hémorragies rétiniennes. Le manque de résistance des muscles cervicaux, en raison de leur immaturité, favorise une sollicitation extrême de la colonne vertébrale et explique la gravité des conséquences.

La mort intervient en moyenne dans un cas sur cinq ; dans les autres cas, les séquelles sont souvent lourdes et permanentes (cécité, troubles moteurs et cognitifs) même si des prises en charge précoces et prolongées en rééducation peuvent avoir un effet bénéfique. Le nombre de cas de S.B.S recensés chaque année en France est de l’ordre de 400.

 

Qui sont les auteurs à l’origine du S.B.S ? 


Il importe avant tout de souligner l’aspect volontaire du secouement. Il ne s’agit pas d’un accident mais bien d’un acte de maltraitance particulièrement violent quand bien même son auteur n’a ni pensé ni voulu un résultat aussi dramatique.

En France et jusque dans les années 1980, le SBS était souvent confondu avec la mort subite du nourrisson ; ce qui explique le peu de recul permettant une juste analyse des données recueillies. 

 

Cependant, des tendances lourdes se dessinent : le secoueur est , dans la majorité des études, un homme jeune et principalement le père.  L’ intervention de la mère est moins fréquente ; le rôle de l’assistante maternelle n’est pas aussi présent que le laisse supposer la médiatisation des affaires dans lesquelles un professionnel est impliqué. Les secoueurs,  comme les autres maltraitants,  ont souvent une personnalité égocentrée, immature et intolérante aux frustrations.

 

Le processus du passage à l’acte est toujours l’exaspération, la fatigue extrême, la colère face aux pleurs du bébé. Ce qui fait dire que «  le secoueur peut être chacun de nous ». Cette croyance est  confortée par le fait que les auteurs ont rarement des mentions inscrites sur le casier judiciaire et qu’ils ne sont pas connus par les services de police.

 

Pour autant, le secouement n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Chacun peut être énervé, excédé sans pour autant passer à l’acte. Affirmer que tout le monde est un secoueur potentiel conduit non seulement à la banalisation de ce type de violences et induit surtout l’idée que le bébé est l’élément déclencheur de l’épisode de maltraitance dans lequel il aurait une part de responsabilité.
 


Quelle est la place de la justice face à ces violences ?


Au plan de la réponse pénale, il n’existe pas une infraction spécifique prévue par le code pénal ; les définitions précises de ces délits et crimes particuliers auraient pourtant l’avantage de bien caractériser ces infractions. Pour l’heure, le S.B.S est une des catégories des nombreuses violences aggravées de notre code ; la répression est fonction de la gravité des lésions : incapacité temporaire, incapacité permanente, infirmité, mutilation …et décès. 

Dans le cas du délit, le tribunal correctionnel peut prononcer des peines pouvant aller jusqu’à dix années d’emprisonnement. Le sursis simple ou assorti d’un suivi judiciaire est également possible . 

 

Dans l’hypothèse d’un crime, la cour d’assises peut prononcer de lourdes peines de réclusion criminelle avec des sanctions parfois supérieures à quinze années , voire plus. Lorsque les coups ont entraîné la mort d‘une personne majeure, la peine encourue est de quinze années de réclusion criminelle. Lorsque la victime est un bébé, le maximum passe alors à vingt années de réclusion criminelle et même à trente années de réclusion criminelle quand l’auteur est un parent. Toutefois, la jurisprudence est très fluctuante selon les dossiers, les jurés faisant parfois preuve de mansuétude en se disant que leur fils ou eux-mêmes pourraient se trouver à la place de l ’accusé…

Dans les deux cas, lorsque la personne qui a secoué l’enfant est un parent, il s’agit d’une circonstance aggravante.

 

Le juge des enfants est saisi en parallèle pour accompagner la famille et aussi protéger la fratrie. Des mesures socio-éducatives sont alors ordonnées : suivi médico-social, assistance éducative et le cas échéant saisie de l’aide sociale à l’enfance et placement éventuel. Éducateurs et travailleurs sociaux s’investissent pleinement sous le contrôle du juge. En cas de placement, les rencontres parents-enfants peuvent se faire dans un endroit sécurisé.

 

Il est important de souligner que toute personne ayant connaissance de ces faits de maltraitance sur mineurs a l’obligation légale de les signaler à un officier de police ou à la justice.Le secret médical n’est pas à obstacle à une telle démarche. Au demeurant, le silence ou l’inaction peut entraîner des poursuites du chef de non-dénonciation. Le dénonciateur ne risque ni poursuites pénales, civiles ou disciplinaires même si le dossier est classé sans suite . La seule obligation est de ne pas être animé d’une intention malveillante.

 

La C.I.I.V.I.S.E ( commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) a rendu publiques, le jeudi 31 mars 2022, vingt recommandations dont la finalité est de créer une culture de protection des mineurs. Il est ainsi préconisé que le médecin soit tenu par une obligation claire d’opérer un signalement dans la seule hypothèse du soupçon de violences. Nul doute que les débats sur ce projet de loi à venir sera l’occasion pour les médecins d’attirer l’attention du législateur sur la difficulté de mise en œuvre de ce texte.

 

Quel rôle jouent les pouvoirs publics dans la lutte contre le SBS ?


Le syndrome du bébé secoué bénéficie d’une véritable attention de la part des pouvoirs publics. Cet intérêt s’inscrit dans la lutte plus globale sur la maltraitance. En 2021, le ministère de la santé a lancé une campagne nationale sur «  les 1000 premiers jours » en, en février 2022, a initié celle relative au S.B.S.

 

Depuis quelques années, le législateur cherche à prévenir et intervenir sur les phénomènes de maltraitances envers les mineurs. La loi la plus connue et la plus symbolique est celle du 20 juillet 2019 dite «  loi sur la fessée ». Le texte est aussi clair que concis :  « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Ce texte est désormais lu en mairie par l’officier d’état civil lors des mariages. On ne peut sous estimer l’importance de cette loi qui bannit les corrections et violences éducatives ordinaires.

 

Cette nouvelle approche du respect du corps et de la personne de l’enfant est un changement de paradigme. Toute forme de maltraitance est interdite et illégitime. Le S.B.S qui entre dans la catégorie générale des maltraitances bénéficie du climat global qui entoure tous ces textes. Le législateur est encore intervenu en votant la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

 

Fake-news et SBS


Le traitement judiciaire du S.B.S devrait dès lors être traité judiciairement de la même façon que toutes les violences sur mineurs. Oui, mais… Dans ce domaine, comme d’autres branches médicales, les «  fake-news » ou « fake-meds » viennent contester les données scientifiques pourtant établies avec sérieux et objectivité par des spécialistes et des experts depuis de nombreuses années. Ces médecins ou scientifiques révisionnistes (pour la plupart d’outre atlantique) balaient d’un revers de la main l’ existence même de cette notion de S.B.S qu’ils remplacent par des pathologies rares voire orphelines. Devant les cours et tribunaux, la notion même de S.B.S est parfois remise en cause. Les droits de la défense sont certes sacrés et chaque avocat a la totale liberté quant aux choix de ses arguments…qui ne sont pas toujours convaincants. Finalement, ce mouvement ne doit pas inquiéter outre mesure mais doit inciter les professionnels de la santé à être encore meilleurs.

 

Le Conseil d’État (la plus haute juridiction administrative française) a reconnu le 7 juillet 2021 les travaux de la haute autorité de santé (H.A.S) qui définissent la notion de SBS et ses recommandations de bonnes pratiques médicales.

 

La H.A.S pose les principes suivants : les lésions associées à une chute de faible hauteur ne peuvent présenter les caractéristiques et la localisation des lésions en lien avec un secouement ; ce qui élimine la justification souvent utilisée par les auteurs de secouements de la chute du bébé de sa table à langer. Le diagnostic des médecins et experts doit être posé en tenant compte de l’histoire clinique de l’enfant et après l’élimination d’autres diagnostics envisageables. Il faut enfin une cohérence entre la description et l’analyse des lésions et les éléments de l’enquête.

 

Cette démarche est effectuée par l ‘expert et le juge. Elle garantit la fiabilité des conclusions en faveur du syndrome du bébé secoué. Les partisans de la non-existence du S.B.S se contentent eux de procéder par affirmations.

 

Les outils de la prévention du SBS


Des outils de prévention ont été mis en place. Le personnel de la maternité Jeanne de Flandres du C.H.U de Lille distribue des brochures et dispense de précieux conseils aux jeunes parents. 


Un «  crying plan » et le «  thermomètre de la colère » sont des outils permettant aux parents de gérer ces moments où tout peut basculer. Cette initiative revient notamment  aux Québécois  (souvent innovateurs en ce domaine) et notamment au professeur FRAPPIER, chef du service pédiatrie au CHU Sainte-Justine de Montreal. Chaque étape conduisant au passage à l’acte est décrite et des solutions alternatives sont proposées : appel à l’aide, quitter la pièce…


Une campagne nationale dans l’hexagone et des spots vidéo aident à une véritable prise de conscience avec un message clair «  on ne secoue pas un bébé ».


La place des associations, par leur présence sur le terrain et grâce à  leurs retours d’informations, jouent un rôle primordial dans la prévention. L’ association «  les maux, les mots pour le dire » s’emploie à la formation des professionnels de santé dans le domaine du S.B.S. Son action est complémentaire de celles des associations qui luttent sur d’autres terrains.


L’intervention du législateur et des pouvoirs publics ne peuvent à elles seules combattre cette idée
, hélas trop répandue,  que “le secouement, ce n’est pas si grave…”.

 

Il est temps de secouer les préjugés.

 

Rédacteur : Jean-Michel FAURE
magistrat honoraire
vice-président de l’ association  Les maux, les mots pour le dire .

( mars 2022 )