Elise Marcende, présidente de l'association Maman Blues

QU'EST CE QUE LA DÉPRESSION POST-PARTUM?

Nous avons interrogé Élise Marcende, présidente de l’association Maman Blues. Elle nous explique en détail les symptômes, les origines, les risques, et l’accompagnement nécessaire face à cette maladie.

LUNA PODCAST

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la DPP et comment elle se manifeste ?

Élise Marcende

« La dépression post-partum (DPP) est décrite comme un trouble de l’humeur survenant après la naissance d’un enfant. Elle est aussi nommée dépression post-natale.

Officiellement, aujourd’hui, 10 à 15% des femmes sont touchées. Mais nombreuses sont celles qui ne parleront pas de peur du jugement et par honte de ne pas être la « bonne » mère. Les statistiques seraient dans ce cas bien plus importants.

 

Contrairement au baby-blues qui survient dans les premiers jours après la naissance et se manifeste sur une quinzaine de jours, la dépression du post-partum peut être insidieuse. Un mal être psychique intense peut être éprouvé dès les premiers jours auprès du nourrisson. Mais, pour d’autres femmes, la dépression explose plus tard, s’installant au fil des mois. Les professionnels de santé évoquent la première année de vie de l’enfant concernant le diagnostic. Parfois, même, restant assez supportable et n’étant que peu bruyante aux yeux de l’entourage, la dépression du post-partum n’est perçue qu’aux deux, trois ans de l’enfant.

 

Elle se caractérise par des symptômes classiques de la dépression : des plaintes somatiques récurrentes, des palpitations, des bouffées de chaleur, des tremblements, des sensations d’oppression, d’étouffement, de vertige.

L’impossibilité de s’endormir, de se rendormir, un sommeil fortement perturbé, une irritabilité permanente, des difficultés de concentration, des pleurs fréquents ou, au contraire, une impossibilité de pleurer sont également caractéristiques.

 

On peut aussi retrouver chez les mères en DPP une anxiété constante, des crises d’angoisses, une culpabilisation omniprésente pour tout avec une perte de confiance en elles.

Ce qui la définit comme une dépression du post-partum, c’est aussi ce qui se manifeste autour du bébé : ne ressentir aucune émotion ou paniquer devant l’intensité de ses sentiments, être réticente à le prendre ou, à l’inverse, avoir des difficultés à s’en détacher corporellement. La mère peut éprouver une peur permanente qu’il lui arrive quelque chose, penser qu’avoir un enfant était une erreur, connaître des phobies d’impulsion.

Ce sont la persistance des symptômes et leur durée qui peuvent faire penser à une dépression du post-partum.. »

LUNA PODCAST

Est-ce un risque auxquelles toutes les femmes donnant naissance peuvent être exposées ?

Élise Marcende​

« Nous considérons chez Maman Blues qu’il est important de sortir des étiquettes qui empêchent, à coup sûr, de déceler le mal être psychique d’une femme « lambda ». Toutes devraient être entendues et écoutées autour de ce qui se joue avec l’arrivée d’un enfant.

 

Ce n’est pas un facteur qui pourra déterminer qu’une femme peut sombrer.

Ce n’est pas non plus un ensemble de facteurs qui la mèneront obligatoirement à une DPP.

Malgré tout, il existe des facteurs à ne pas négliger pendant la grossesse et en post-partum.

 

En voici un nombre non exhaustifs :

Des facteurs de vulnérabilités psychiques

  • Antécédents de troubles psychiatriques personnels ou familiaux
  • Antécédents d’abus ou de maltraitance dans l’enfance
  • Âge (grossesse à l’adolescence ou grossesse tardive)
  • Mère célibataire/difficultés conjugales/grossesse non désirée
  • Précarité socioéconomique/isolement affectif : liens conflictuels mère/fille, père en déplacement, père absent ou décédé, perte d’un proche (mère ou père de la femme enceinte) durant la grossesse

Des facteurs culturels

  • Femmes primoarrivantes
  • Déménagement ou éloignement familial
  • La monoparentalité

Des facteurs gynécologiques et obstétricaux

  • Primiparité
  • Décès d’un enfant précédent, perte fœtale (Grossesse Extra-Utérine, Fausse Couche, Mort Intra Utero)
  • Malformation ou pathologie fœtale, prématurité
  • Césarienne
  • Accouchement traumatique
  • Diabète Gestationnel (suivant de très récentes études)
  • PMA
  • Gémellité »

LUNA PODCAST

Et les hommes ? Font-ils aussi des DPP ?

Élise Marcende

« Les chiffres avancés concernant les pères sont de 10% de dépression du post-partum.

 

Il est aussi évoqué une probabilité de 50% de dépression chez les pères dont la compagne aura traversé une DPP.

Ce que l’on peut noter, c’est que le co-parent peut passer à travers les radars des soignants car l’attention peut être en partie tournée vers la santé physique de la mère. Les professionnels portent aussi un intérêt tout particulier au bébé, sa santé et son bon développement psychomoteur.

 

La santé psychique des parents est peu interrogée, seulement s’ils présentent des facteurs de vulnérabilité psychique connus et, la plupart du temps, déjà accompagnés.

Les prises en charge actuelles, notamment en Unités Mères Bébés, proposent des hospitalisations de la dyade mère-enfant en temps plein. Il est rare de voir un père hospitalisé avec son bébé, du fait par exemple d’un allaitement. Mais le co-parent est bien plus observé et parfois accompagné qu’auparavant. Et les unités se nomment bien plus aisément Unités Parents Bébé afin de prendre en charge l’ensemble de la famille. »

LUNA PODCAST

Quelle est la différence avec le baby blues ?

Élise Marcende

« Comme mentionné précédemment, le baby-blues survient dans les premiers jours (en général à partir du 3ème jour) après la naissance et peut se manifester durant une quinzaine de jours (un grand maximum de trois semaines). Ils touchent 50 à 70% des jeunes accouchées. Il n’est à priori pas pathologique.

 

Sa brièveté et son intensité supportable le caractérisent et le différencient de la dépression du post-partum.

Dans le cadre du baby blues, la femme reste consciente que ces sentiments et émotions sont disproportionnées. Il s’agit d’inquiétudes avec lesquelles elle arrive à composer et non d’angoisses qui pourraient la déborder.

 

Ses caractéristiques sont les suivantes :

  • La fatigue mais qui va en s’estompant.
  • Les troubles du sommeil (dans des proportions non inquiétantes).
  • La labilité de l’humeur.
  • Les pleurs et crises de larmes par intermittence, la tristesse en pointillés.
  • Des sentiments gérables de doutes, d’ambivalence, de crainte, vis-à-vis de son bébé.
  • Une hypersensibilité aux critiques comme aux remarques anodines.
  • Un sentiment de frustration ou d’échec au moindre obstacle, une irritabilité inhabituelle.
  • Le sentiment fugace d’être devenue étrangère à sa vie.
  • Des doutes sur ses capacités à devenir une bonne mère, à savoir répondre aux besoins de son bébé.
  • Sentiment d’étrangeté déconcertant vis-à-vis de son corps et de celui du bébé.
  • Hypervigilance et hyperactivité mais qui ne durent pas.« 

LUNA PODCAST

Y a-t-il des risques pour l’enfant ?

Élise Marcende

« Les femmes sont souvent extrêmement inquiètes concernant leur état psychique et l’impact que ce dernier pourrait avoir sur leur bébé. On perçoit une préoccupation primaire forte pour le nouveau-né.

 

Elles ont à cœur de ne pas le mettre en difficulté dans ses premiers jours de vie ou sa première année.

Ce qui est souvent entendu, c’est que le bébé est une éponge. C’est extrêmement violent pour les femmes touchées par la DPP. Elles ne s’en sentent que plus coupables.

Nous essayons toujours de les rassurer en mentionnant la prise en charge et l’importance de l’accompagnement.

Un bébé « exposé » à la DPP de sa mère doit être au cœur de la prise en charge dans des soins conjoints afin de ne développer aucun trouble sur la durée.

 

Certains bébés ne montrent aucun signe de trouble du développement mais pour d’autres, rapidement se manifestent des souffrances avec des signes d’alerte autour de leur comportement ou de leur santé :

  • Des troubles précoces du sommeil
  • Des bronchiolites à répétition
  • Des régurgitations fréquentes et importantes
  • Des pleurs incessants, difficiles à apaiser, des spasmes du sanglot
  • Des affections dermatologiques
  • Des malaises vagaux très brefs dont la cause restera inconnue
  • Un bébé comme absent, faisant peu de bruit
  • Un bébé hypotonique
  • Un bébé ayant des difficultés à se nourrir, à prendre le sein ou le biberon, une prise d’alimentation lente ou rapide
  • Un bébé trop sage qui s’adapte au rythme et à l’humeur de la maman, qui se protège dans le sommeil, qui se montre sérieux quand elle est sombre, et enjoué quand la mère l’est, un bébé qui va s’épuiser à porter ainsi la déprime maternelle
  • Un bébé ne cherchant pas ou n’accrochant pas le regard de sa mère notamment lors du nourrissage.
  • Un bébé sans tonus, comme « mou », comme en retrait.
  • Un bébé comme hostile au monde, qui s’oppose ou se raidit au contact de sa mère

L’observation doit être tournée autant vers la mère que le bébé. »

LUNA PODCAST

A quel moment et comment peut-on se faire accompagner ? Et par qui ?

Élise Marcende

« Dès lors que l’on se sent différente, plus irritable, triste ou encore en dehors de soi, il convient de trouver un professionnel à l’écoute et bienveillant dans son accompagnement.

 

Lorsque la femme consulte son médecin traitant, il lui est généralement proposé un traitement médicamenteux et puis cela s’arrête là.

 

Nombreuses sont les femmes qui nous contactent en se questionnant sur la pertinence d’un suivi psychologique.

Alors, rappelons-le, Maman Blues n’a aucun vocation thérapeutique. Nous ne pouvons décemment pas nous prononcer en faveur ou contre un traitement médicamenteux. Chaque femme sera à même de choisir, en pleine conscience, ce qui lui conviendra. Cela sera aussi au professionnel d’expliquer pourquoi le traitement doit être mis en place (en fonction des symptômes évoqués), ainsi que ses bénéfices et ses risques.

 

En revanche, il est nécessaire qu’une information complète soit donnée sur les différentes prises en charge existantes. Nous désespérons de nous retrouver face à des femmes totalement démunies, n’ayant aucune idée de la personne vers qui se tourner.

 

C’est toute la notion de « réseau » qui se fait jour dans ce constat. La nécessité de travailler en collaboration permet d’éviter une errance médicale ou des orientations hasardeuses.

 

  • Les professionnels de la Périnatalité et de la Petite Enfance doivent travailler ensemble pour les femmes, pour les familles. L’accompagnement sera en adéquation avec la gravité de l’état psychique de la femme.
  • Consulter un psychologue libéral avec une étiquette périnatale peut tout à fait convenir.
  • Parfois l’étayage doit être plus fourni. C’est là qu’interviennent les Unités Mères Bébés (UMB) en proposant une hospitalisation conjointe (mère-bébé) de jour ou en temps plein. Les UMB sont constituées de professionnels périnataux sensibilisés et formés aux problématiques d’attachements.
  • A domicile, la PMI se déplace régulièrement et apporte un éclairage centré sur les soins au bébé mais également les liens d’attachement.
  • Faire appel à une TISF (Technicienne d’Intervention Sociale et Familiale) peut aussi permettre à la femme nouvellement mère de retrouver confiance en ses capacités maternelles.
  • Certains Centres Médico-Psychologiques sont également présents dans la boucle du soin.
  • Enfin des lignes d’écoute, telle que « Allô Parents Bébé », sont précieuses pour désamorcer grâce à un appel la trop forte angoisse ressentie, par exemple. »

LUNA PODCAST

Comment l’entourage peut-il aider ?

Élise Marcende

« C’est toujours très dur pour l’entourage de se retrouver face à leur proche en grande souffrance. Ils se sentent totalement impuissants. Ils sont également inquiets sur la suite favorable de cette situation.

 

Certains vont se montrer insistants en parlant de volonté. Mais cette dernière est loin d’être suffisante dans le cas d’une dépression post-partum. Non il ne suffit pas de le vouloir pour le pouvoir. Même si la famille, les ami.e.s veulent faire bien, des propos de ce type ont tendance à plonger plus bas encore la femme. Une écoute bienveillante est la clef pour que la mère se sente entourée, comprise ou tout du moins entendue.

 

Il est essentiel de proposer son aide en fonction des besoins de la femme nouvellement mère et dans le cas précis, en dépression du post-partum.

 

Ne pas s’imposer peut paraître une évidence mais en voulant bien agir, l’entourage peut prendre beaucoup de place en négligeant d’écouter ce que la mère demande.

 

Accompagner (de sa place de père, de sœur, de grand-mère, etc…) et non faire à la place de peut demander une certaine expérience mais aura un effet porteur et soutenant.

 

Lorsque la DPP est là, la mère peut avoir besoin, comme une femme qui vient juste d’accoucher d’ailleurs, que l’on s’occupe de la maison, des repas, de la charge mentale qu’elle ne peut tout bonnement pas supportée.

Des bras, des attentions, de l’écoute sont des bases dans l’aide que peut apporter l’entourage. »