La Professeure Sylvie Manouvrier

COMPRENDRE "L'ERRANCE DIAGNOSTIQUE"

Sylvie Manouvrier est Professeure des Universités et Praticien Hospitalier de génétique (PUPH) à la Faculté de médecine et au CHU de Lille. Elle y a créé, la clinique de génétique en 1999, le Centre de Référence Maladies Rares (CRMR) en 2005 labélisé pour les anomalies du développement puis l’équipe de recherche EA7364 qui s’intéresse aux causes génétiques des anomalies du développement, notamment les malformations des membres et la déficience intellectuelle en 2015.

Elle a également été responsable du département universitaire de génétique de 2005 à 2020. Aujourd’hui à la retraite depuis peu, elle garde néanmoins une activité hospitalo-universitaire pendant deux années de prolongation.

LUNA PODCAST

Notre 4e épisode traite de l’association VACTERL, une maladie rare dont est atteint Timothée. Combien de personnes sont touchées par cette maladie en France ? Dans le monde ?

PROFESSEURE SYLVIE MANOUVRIER

« Il est très difficile de répondre à cette question car il n’y a pas de marqueur biologique ou génétique pour poser le diagnostic d’association VACTERL, dont la définition est la présence d’au moins 3 des malformations suivantes : anomalies vertébrales, atrésie anale, malformation cardiaque, fistule trachéooesophagienne, anomalies rénales et malformations des membres. 

 

Mais les critères diagnostiques varient parfois dans les publications, expliquant que l’incidence à la naissance est estimée dans une large fourchette 1 pour 10,000 à 1 pour 40,000 nouveaux nés. 

 

Malheureusement certains de ces enfants vont décéder en raison de la sévérité de leurs malformations, qui est très variable d’une personne à l’autre. Sur 60 millions d’habitants, on peut donc estimer qu’entre 1500 et 6000 patients en sont atteints en France.

 

Il faut aussi savoir qu’il existe une forme beaucoup plus rare de syndrome VACTERL associée à une hydrocéphalie, qui est elle génétique. »

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Comment diagnostique-t-on cette association chez un enfant si jeune? Quel rôle jouez-vous dans la pose de ce diagnostic ?

PROFESSEURE SYLVIE MANOUVRIER

« Le diagnostic d’association VACTERL est évoqué dès qu’un nouveau-né (ou un fœtus si les anomalies ont été mises en évidence par les échographies prénatales) est porteur d’une ou plusieurs malformations de l’acronyme. 

 

Le pédiatre et/ou le généticien vont donc examiner attentivement le patient et prescrire des investigations complémentaires afin de rechercher les anomalies potentiellement associées (échographie cardiaque et rénale, radiographies du rachis et des extrémités … 

 

Mais il s’agit d’un diagnostic d’élimination et il est important aussi d’écarter d’autres pathologies, potentiellement plus graves et qui nécessiteraient la mise en place d’un suivi spécifique. C’est dans ce cadre que l’avis d’un généticien syndromologiste (spécialiste des maladies rares du développement) est important. Il réalisera une enquête familiale (pour s’assurer de l’absence d’antécédents qui pourraient orienter vers une autre affection) et un examen complet de l’enfant, consultera les résultats des investigations complémentaires déjà réalisées (et les complètera éventuellement) et prescrira, le plus souvent, une analyse génétique de type ACPA (Analyse chromosomique sur Puce ADN), voire un séquençage de gènes impliqués dans des pathologies voisines, afin de les écarter. Son expertise lui permettra de confirmer le diagnostic et le caractère non génétique de la pathologie. »

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Qu’est-ce qui explique que les délais puissent être si longs ?

PROFESSEURE SYLVIE MANOUVRIER

« La réalisation des divers examens complémentaires (radios, échographies etc.) prend du temps et les généticiens des centres de référence ou de compétence pour les anomalies du développement sont peu nombreux, ce qui peut être responsable de délais pour l’obtention d’un rendez-vous auprès de ces équipes. 

 

Cependant lorsqu’un avis est sollicité pour un nouveau-né (ou en période prénatale), il est considéré comme une urgence et les équipes de génétique font en sorte de le gérer très rapidement. L’association VACTERL peut alors être suspectée, mais le diagnostic ne pourra être affirmé qu’après la réalisation des investigations génétiques suscitées dont les délais de réponse sont de plusieurs semaines à plusieurs mois. »

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Plus largement on entend souvent parler d’errance de diagnostic. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

PROFESSEURE SYLVIE MANOUVRIER

« On entend par « errance diagnostique », les difficultés à aboutir au bon diagnostic, dont dépend souvent (mais pas toujours) la prise en charge optimale du patient. 

 

En effet, dans certaines situations la prise en charge d’une malformation ou d’un handicap (médicaments, chirurgie, orthophonie, ergothérapie etc.) ne sera pas modifiée par l’identification de la cause de l’anomalie et le nom qui y est associé. Parfois cependant, établir le diagnostic permet de prévoir et prévenir certaines complications et/ou rassurer les parents sur l’histoire naturelle de la pathologie. 

 

Mais, dans tous les cas, nommer la pathologie est psychologiquement important pour les patients et leurs parents. Enfin, connaitre le diagnostic avec certitude est essentiel pour l’information génétique.

 

Si l’errance diagnostique peut se rencontrer dans toutes les pathologies, elle est particulièrement fréquente dans le cas des maladies rares. Or, si celles-ci sont (comme leur nom l’indique) individuellement rares, elles touchent environ 5% de la population. 

 

L’errance diagnostique est donc un vrai problème de santé publique et justifie, dès que possible, le recours à un Centre de Référence Maladies Rares (CRMR) ou Centre de Compétences Maladies Rares (CCMR). Les médecins qui y travaillent ont tous une expertise des maladies rares et pourront, soit poser un diagnostic clinique, soit prescrire les investigations complémentaires permettant d’y aboutir. Par exemple, pour les maladies génétiques (80% des maladies rares le sont), le recours aux nouvelles technologies d’analyse du capital génétique ont permis de grandes avancées.

Il faut cependant savoir qu’il reste des situations dans lesquelles les connaissances actuelles ne permettent pas de poser un diagnostic de certitude. Dans ce cas il est important de rester en contact et de consulter régulièrement un CRMR ou CCMR afin de bénéficier des progrès des connaissances et des techniques au fur et à mesure de leur arrivée. »

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Comment répondre aux besoins d’explication et d’information des familles ? Comment les accompagner en milieu hospitalier et dans leur quotidien ?

PROFESSEURE SYLVIE MANOUVRIER

« Les équipes des CRMR et CCMR ont l’expertise et l’expérience pour répondre aux besoins d’explication et d’information des familles. Elles sont composées de médecins, qui ont l’expertise clinique pour le diagnostic et le suivi de ces affections, mais aussi de psychologues, dont l’aide est essentielle auprès des patients et des familles. 

 

Elles sont en contact constant avec les divers spécialistes impliqués dans la prise en charge des patients et avec les biologistes qui réalisent les analyses complémentaires, notamment génétiques. 

 

Il est essentiel de soutenir les patients et les familles tout au long du processus diagnostique (qui est souvent long s’il faut recourir à des investigations génétiques complexes, dont les résultats ne peuvent être obtenus avant plusieurs mois), au moment du diagnostic (qui s’il est attendu avec impatience, peut néanmoins être un traumatisme psychologique) et après celui-ci.

Dans le cadre de ce suivi, divers recours sont d’ores et déjà possibles : de nombreux Protocoles Nationaux de Diagnostic et de Soin (PNDS) ont été rédigés sur lesquels les équipes peuvent s’appuyer pour une prise en charge optimale et équivalente sur l’ensemble du territoire ; des séances d’Education Thérapeutique du Patient (ETP) adaptés aux pathologies ou à leurs problématiques communes (par exemple pouvoir affronter le regard des autres) sont développés dans de nombreux établissements.

 

Le recours aux associations de patients est également proposé car il peut être utile de pouvoir échanger avec des familles confrontées à une problématique comparable, même s’il faut rappeler que chaque cas est particulier. »

 

 

Pour plus d’information sur es pathologies malformatives, voici le site de la filière de santé AnDDI-Rares : http://anddi-rares.org/