Illana Weizman, autrice du livre "Notre post-partum"

LETTRE À MON FILS

Illana Weizman a partagé avec nous une très belle lettre qu’elle a écrite pour son fils, 3 ans après sa dépression post-partum.

« Mon petit garçon,

 

Hier soir je scrollais tes photos sur mon téléphone. Je suis remontée à ta naissance, les premières images à la maternité, puis tes première semaines, mois, jusque tes trois ans. Je ne sais pas combien de temps j’ai passé sur cet écran, à te contempler, à me replonger dans ces instants passés.

 

Tout du long je souriais béatement, portée par ces images et les vagues d’endorphines qu’elles provoquaient en moi. Toi qui ris en cascade, toi qui énonces tes premiers mots pauvrement prononcés, toi qui marches malhabilement, manquant de tomber une fois, deux fois, puis qui tombe finalement sur ton petit fessier. Toi tenant ta fourchette gauchement et t’étalant de la compote de carotte jusque sur le front. Toi à la mer, au parc, à la ferme. Toi qui t’empiffres de tes gâteaux d’anniversaire et qui souffle tes bougies sans parvenir à les éteindre.

 

Et là ça m’a percuté. L’amnésie sélective avait commencé. Sur un bon nombre de ces souvenirs digitalisés, je suis en dépression post-partum. Sur toutes ces images, je vis ma maternité de façon complexe et ambivalente. Ce défilé de moments doux est une réalité tronquée, ma maternité en pointillé. Entre il y a les pleurs, il y a la frustration, il y a la nostalgie de ma vie d’avant. 

 

Entre il y a mon cœur qui se serre parce que j’ai la sensation de ne pas être à la hauteur. Entre il y a des nuits durant lesquelles je me suis levée dix fois pour te rendormir. Entre nos éclats de rire il y a ces nœuds dans ma gorge lorsque tu pleures, l’envie d’absorber tes peines et tes colères dans une forme de toute-puissance et savoir pertinemment que c’est de l’ordre de l’impossible.

 

Le temps passant et la garde baissée, je constate que je commence à réécrire mon histoire de mère, j’emprunte le chemin du « on oublie », du « ça passe ». Mais je ne veux pas oublier. Par respect pour moi, pour les mères, par respect pour toi. La maternité est un chemin entre cieux et limbes. Je veux m’en rappeler. Je veux me souvenir de toutes les étapes. Parce que c’est notre histoire, mon fils. »