ENTRETIEN SUR LA GPA
Entretien avec Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste à l’hôpital de la pitié salpêtrière à Paris.
Serge Hefez,
Psychiatre et psychanalyste
Qu’est-ce que la GPA ?
La GPA c’est quand une femme accepte de porter un enfant pour une autre personne ou pour un couple.
Qu’est-ce qu’une GPA éthique ?
Une GPA éthique c’est lorsqu’il s’agit autant que possible d’un don et d’un échange. La femme qui accepte de porter l’enfant le fait au nom d’une humanité fondée sur l’aide et le soutien de l’autre. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un échange marchand, de vendre son corps parce que c’est pour cette femme son seul moyen de subsistance mais qu’il s’agit réellement d’un don et d’un échange.
Faut-il rémunérer les femmes porteuses ou seulement les indemniser ?
C’est normal que la femme porteuse soit rétribuée.
Il s’agit d’une indemnisation au sens où c’est quelque chose qui coûte sur beaucoup de points pour ces femmes donc on peut en évaluer le coût. Et c’est surtout à la femme qui porte l’enfant d’évaluer de quelle façon cette rétribution lui parait juste par rapport à son geste. .
Pourquoi pensez-vous que la logique de don est si peu entendable en France dans les débats aujourd’hui sur la GPA ?
Parce qu’en France, en matière de tout ce qui concerne la procréation, on a une vision qui est particulièrement centrée sur le fait que le corps est privé, votre corps vous appartient et par conséquent tout ce qui va à l’encontre de cela est perçu comme une véritable violation du corps.
Il y a des cultures où traditionnellement le fait de porter un enfant pour une autre femme, le fait de donner un enfant, fait beaucoup plus partie des valeurs de cette culture. Tandis que dans nos valeurs à nous ; l’enfant est une possession privée, le corps est une possession privée et donc tout ça ne s’échange pas.
L’autre aspect c’est qu’il existe malheureusement de par le monde des trafics, des trafics de corps, qui concerne souvent le corps des femmes mais pas que, des trafics d’organes, des trafics de femmes comme objet sexuel, des ventes de personnes qui sont quasiment des situations d’esclavagisme. Donc ça existe, il ne s’agit pas d’être naïf et innocent et dans certains endroits GPA en fait partie. Dans certains lieux, il s’agit d’une véritable marchandisation du corps.
Le problème c’est qu’on ne voit que cet aspect et pas l’aspect qui existe dans d’autres endroits où il s’agit véritablement d’un choix, d’un libre choix de ces femmes et d’un véritable échange.
Qu’est ce qui permettrait de rendre la GPA la plus éthique possible ?
S’assurer que cette femme n’a pas besoin de cet argent pour vivre, s’assurer que cette femme a un statut social, des revenus, une famille avec des enfants, une vie personnelle suffisamment équilibrée à tout point de vue. Et que si elle décide de le faire, et encore une fois il y a un certain nombre de femmes qui décident de le faire, c’est davantage par altruisme et par don et par un souci d’aider que par un besoin personnel d’argent pour vivre.
Quels sont pour vous les pays dans lesquels la GPA se passe de la manière la plus éthique possible actuellement ?
Au Canada, en Angleterre, en Israël…
Aux États-Unis il y a du bon et du moins bon : il y a des lieux où on est quand même dans un rapport très marchand et d’autres lieux dans lesquels les conditions sont beaucoup plus éthiques.
Il y a beaucoup de couples français hétérosexuels comme homosexuels qui ont recours à la GPA aux États-Unis dans des bonnes conditions d’échange.
Quelle relation préconisez-vous entre les parents d’intention et la femme porteuse pendant et après la grossesse ? Est-ce que les parents d’intention doivent maintenir des liens fréquents avec la gestatrice pendant et après la grossesse ?
Pour moi c’est ça qui définit une GPA éthique : c’est le fait que cette femme n’est pas une femme anonymisée, ravalée à un rang d’esclave mais c’est une femme qui fait partie de la famille et qui fera toujours partie de la famille. C’est ce qui se passe dans les GPA éthique et c’est ce que je recommande, d’abord ce sont les femmes qui choisissent le couple ou la personne avec qui elles ont envie que l’échange ait lieux, il y a une relation qui se met en place autour de ça, les parents d’intention suivent toute la grossesse, sont présents à l’accouchement et après cette femme est identifiée par l’enfant comme étant celle qui l’a mis au monde. Ce n’est pas sa mère mais c’est celle qui l’a mis au monde et par la suite il va pouvoir la rencontrer, l’identifier, elle va être dans son album de famille etc. C’est un personnage de famille.
Comment empêcher qu’il y ait un lien d’attachement entre l’enfant et la femme porteuse ?
Encore une fois le lien d’attachement il faut que l’enfant soit là et dans la GPA l’enfant est séparé de la femme qui l’a porté dès la naissance et il est tout de suite dans les bras du parent qui va être son parent que ce soit encore une fois un homme, une femme, un couple d’homme, un couple hétéro etc. Donc c’est avec ces personnes-là qu’il va tisser un lien d’attachement et la femme qui l’a porté fait tout un travail pendant leur grossesse qui est un travail psychique qui est qu’elles “hébergent » cet enfant mais qu’elles ne se sentent pas être leur mère. Ça ne leur pose pas de problème cette séparation à la naissance.
C’est comme une nourrice, il y a des nourrices qui s’occupent des bébés dès leur naissance, avec des mères qui sont très absentes et qui travaillent beaucoup, ça a toujours existé dans l’histoire. Ces femmes-là évidemment elles aiment l’enfant, elles s’en occupent, elles leur donnent toute leur attention mais elles ne se sentent pas être leur mère.
Une gestatrice pour autrui c’est comme une super nourrice, effectivement une nourrice qui “héberge” l’enfant en elle mais sans tisser sur le plan imaginaire un lien de maternité avec cet enfant.
C’est un travail qui se fait tout seul ou ça peut être encadré par des psy ?
En général, enfin dans les pays encore une fois où les choses se font de manière éthique et encadrée, ces femmes sont suivies tout au long de leur grossesse. Et elles sont en lien avec les futurs parents, on les voit, on leur parle, elles ne sont pas laissées dans la nature.
Est-ce que le fait pour une femme de ne pas avoir porté l’enfant peut perturber les liens d’attachement entre une femme et son enfant né par GPA ?
C’est difficile à dire, c’est difficile à prouver dans un sens ou dans un autre. Il est clair que le lien d’attachement du bébé se fait après la naissance c’est-à-dire qu’il se fait dans les premiers gestes ou les premiers échanges avec la ou les personnes qui s’en occupent, qui le nourrissent, qui le portent, qui l’endorment, qui le cajolent, qui lui sourient etc. Donc bien évidemment c’est avec la personne qui va s’en occuper.
Après il y a des personnes qui soutiennent que ce lien se met déjà en place à travers le corps, à travers la voix pendant la grossesse mais je ne sais pas très bien sur quoi on peut étayer ça.
Est-ce que vous avez eu des contacts avec des enfants nés par GPA et est-ce que le fait de ne pas avoir été porté par leur mère peut perturber ce lien ? Parce qu’on entend beaucoup qu’il se passe des choses durant la grossesse entre la femme porteuse et l’enfant, est ce que ça pourrait avoir un impact sur la construction de l’enfant ?
Moi j’ai connu beaucoup d’enfants nés par GPA et de jeunes adultes nés par GPA, ne serait-ce que les deux jumelles du couples Mennesson et rien ne va dans le sens de dire que le lien à leur mère d’intention, qui est leur mère, est perturbé par la GPA. Au contraire parce que ce sont des enfants où il y a beaucoup d’attentions, ce sont des enfants qui ont été très désirés, ce sont des enfants à qui on a raconté cette histoire qui est une histoire particulière et ça aussi c’est très générateur d’attachement donc moi je n’irai pas dans ce sens-là.
Comment en parler à son enfant et à quel âge ? Est-ce que vous considérez qu’il y a un âge ou c’est quelque chose qui doit se mettre en place dès la naissance ?
C’est présent, c’est quelque chose qui peut se raconter d’emblée et puis ensuite l’enfant le comprend avec ses moyens au fur et à mesure.
A tous les âges on explique comment un enfant a été désiré, comment il a été conçu, comment est-ce qu’il est venu au monde… Très rapidement un enfant va savoir et va comprendre qu’un bébé ça naît et c’est dans le ventre d’une maman parce qu’il va peut-être y avoir d’autres femmes enceintes autour de lui.
Il va très vite poser des questions là-dessus, donc très vite on peut dire quand dans la plupart des cas les mamans portent les bébés dans leur ventre mais qu’il y a des mamans qui malheureusement ne peuvent pas porter d’enfant, qui ont des maladies et donc il y a des femmes, très gentilles, qui ont décidé de faire ce don merveilleux de porter l’enfant pour quelqu’un d’autre.
À partir du moment où c’est présenté à l’enfant comme une belle histoire, comme une belle histoire de vie ou de naissance, c’est comme le don de sperme, c’est pareil, il y a rien de honteux, il y a rien qui mérite d’être caché si justement on raconte ça comme des rapports de dons entre les adultes, des adultes qui s’aident les uns les autres.